Bonjour Stefan, j’ai découvert tes créations en surfant sur le net autour du thème dieselpunk et en m’inscrivant sur un forum US dédié à ce genre sur lequel j’ai utilisé une de tes créations comme avatar. Ton espace sur deviant art nous montre un peu de ton univers créatif qui mêle ambiances des films noir des années 30-40, art déco, science fiction rétro, publicité vintage etc… et un genre de SF particulier qui est le dieselpunk. J'ai beaucoup aimé ton style et tes créations que j'ai présenté dans un précédent article. Par ailleurs tu as été choisi par Auguste Darnell (Kid Créole and the coconuts) pour illustrer graphiquement son nouvel album. Tu as déjà été interviewé par Larry un des membres du site Dieselpunk.org, mais en anglais, je me suis dit que ce serait bien d’avoir nous aussi (les frenchies), droit à une petite interview.
Avant de rentrer dans le vif du sujet pourrais-tu te présenter en quelques mots ?
Les Dieselpunks de ton blog, s'il y en a, me connaissent sans doute. Pour les autres, je m'appelle Stéfan et mon vrai nom est... Stéfan. L'orthographe germanique de mon prénom n'est pas dû à quelque snobisme d'artiste, mais à mes origines qui sont slaves pour moitié, tchèques pour être précis. Je suis illustrateur ou, pour le dire plus simplement, je fais des images inspirées le plus souvent, comme tu l'as remarqué, par ce qu'il est convenu d'appeler la "culture populaire" de la première moitié du siècle passé, qu'il s'agisse de films, d'affiches, de "réclames", comme l'on disait alors, ou autres. Mes images sont à leur tour destinées à illustrer des couvertures de livres, des nouvelles, des pochettes de disque, des sites Internet... ou à aucun usage particulier, si ce n'est celui de perpétuer un style graphique, visuel qui m'est cher.
Commençons par un peu de technique: infographie, artiste digital, retouche photo, palettes graphiques, créations numériques pour moi et pour bien d’autres personnes cela reste assez obscur. Quelles techniques utilises-tu et comment pourrais-tu te définir en tant que créateur ?
Depuis pas mal d'années, et malgré une formation tout ce qu'il y a de plus classique, académique même, j'utilise presque uniquement le média digital. Même s'il n'apporte pas les irremplaçables sensations "physiques", tactiles que procure l'usage du papier, de la couleur, des crayons... ses possibilités infinies sont telles que, en tant que créateur, on ne peut qu'être séduit, me semble t'il. Cela dit, je ne suis pas un computer freak et je ne fais pas usage d'une technologie époustouflante. Tu serais probablement déçu de voir à quel point les logiciels, les applications graphiques que j'utilise sont rudimentaires. Il me semble toujours que, plus sophistiquée, plus performante est la technologie mise à disposition, plus on se repose sur elle, comptant sur ses effets, ses prouesses, au détriment de l'imagination. Lorsque j'étais enfant, je passais des journées entières à réaliser des collages avec des ciseaux et de la colle, sur lesquels je dessinais et peignais, tentant de donner forme, vie à ce que j'imaginais. Rien n'a changé depuis, si ce n'est le média utilisé.
Parlons maintenant créativité, tu es très inspiré par l’esthétisme de l’entre-deux guerre, les films noirs, mais aussi l’Art Déco, des pubs rétro bien de chez nous. Depuis quand et pourquoi cette période te passionne t-elle ?
J'ai toujours été, je crois, attiré par cette période de l'entre-deux guerres. Il est incontestable que, historiquement, sociologiquement, c'est une période fascinante, pour le meilleur et pour le pire. Graphiquement ou, plus généralement, en termes de "culture populaire", faute d'un meilleur mot, il est indéniable que c'est une période si riche, si novatrice, si créative qu'elle porte en elle la matière de plusieurs siècles. On ne peut qu'être étonné qu'elle n'ait en réalité duré que 20 ans, 30 tout au plus si, selon les critères de certains puristes du mouvement Dieselpunk, on veut l'étendre jusqu'au tout début des années 50. Nous ne cessons, aujourd'hui encore, de nous y référer constamment dans tous les domaines de la création. Elle est la matrice de notre monde moderne contemporain.
En plus de l'inspiration du monde réel lié à cette période, tu as aussi de trèsimportantes influences de rétro-science-fiction que l'on appelle communément dieselpunk ( que je présente dans cet article). Je dirais même que tu es un spécialiste en la matière, étais-tu conscient dés le début qu’il s’agissait d’un genre à part entière ?
Tout cela est lié, bien évidemment. Le courant Dieselpunk qui se propose de réinterpréter, de transposer dans notre monde d'aujourd'hui (ou de demain) ce que furent les innovations, les modes, les rêves aussi de l'époque, puise naturellement son inspiration dans ces mêmes décades. Ton usage de l'expression "rétro science-fiction" est tout à fait justifié : le Dieselpunk est souvent assimilé, à raison je crois, au "rétro-futurisme", cette représentation d'un futur qui jamais ne fut. Mes propres univers imaginaires, qui semblent toujours provenir d'un monde où le calendrier se serait arrêté à une version un peu surréaliste, un peu "dopée" des années 40, font appel aux mêmes mécanismes, utilisent les mêmes ressorts, je crois. Aussi, tel le Monsieur Jourdain de Molière qui faisait de la prose sans le savoir, je me suis aperçu un jour que je "faisais du Dieselpunk" sans le savoir. C'est toujours plaisant de savoir que l'on n'est pas seul et puis, si en plus, d'autres apprécient ce qu'on fait... C'était déjà le Steampunk qui occupait le devant de la scène, alors, le courant Dieselpunk n'en était encore qu'à ses balbutiements et avait sans doute besoin de figures "emblématiques", voilà tout. C'est toujours une question de circonstances.
Quelles sont très concrètement tes inspirations cinématographiques, musicales, littéraires ou artistiques?
Ce ne sera sans doute pas une surprise pour toi d'apprendre que mes regards se tournent inévitablement vers ces mêmes décades lorsque je suis à la recherche d'inspiration. En matière de films, par exemple, ce sont les films noirs des années 30 ou 40, tous ou presque y compris un grand nombre de séries B oubliées, qui sont mes préférés. Qui n'a pas vu Double Indemnity ou The Big Sleep n'a rien vu... ! Mes goûts musicaux, eux, sont beaucoup plus éclectiques et s'étendent bien plus loin, jusqu'à rejoindre les tiens, les fameuses années 80 : ne t'imagine pas que je n'écoute que du Charleston sur mon phonographe. Tennessee Williams et Christopher Isherwood sont mes écrivains favoris et des peintres ou illustrateurs tels que Leyendecker, Hopper ou, plus près de nous Cottingham sont une inépuisable source d'inspiration pour moi. Je réalise que tout cela peut donner à penser que je n'ai d'yeux que pour les États-Unis et la culture américaine. C'est partiellement vrai seulement. S'il est exact que la pop-culture américaine occupe une place importante dans mon panthéon personnel, elle n'est pas la seule. Le talent, le savoir-faire français de ces années-là n'ont pas grand-chose à envier aux américains et le style Art Déco a bel été bien été inventé à Paris, pour se voir exporter ensuite outre-atlantique, en particulier par les Américains alors expatriés et qui aimaient tant la French Touch.
AugustDarnell de Kid Créole and the Coconuts t’a choisi pour réaliser les graphismes de son nouvel albumétait ce ta première expérience de ce genre ?
Non, j'avais déjà eu la chance de côtoyer un peu le monde de la musique et du spectacle.
Commentcela s’est-il déroulé ?
Ce fut, en tout point, une collaboration excitante et enrichissante. August Darnell, Kid Créole à la scène, est un passionné de films noirs des années 40 depuis toujours et les gens de Strut Records à Londres, la compagnie de production, lui a suggéré de jeter un coup d'œil à ce que je fais, largement inspiré par cette esthétique on l'aura compris à présent. http://stefanparis.deviantart.com/
J'ai eu le grand privilège que le Kid, comme chacun dit autour de lui, mais aussi d'autres... la direction artistique, son manager... aiment et pensent que cela pouvait correspondre à la couleur qu'il voulait donner à son nouvel album et les nombreux visuels qui devaient l'accompagner. Le Kid souhaitait s'inspirer d'un film de 1941 "I Wake Up Screaming" avec Victor Mature et Betty Grable, et même donner un titre identique à son propre album. Sans que le résultat final déroule nécessairement une intrigue, il voulait que les couvertures ainsi que le livret intérieur entier se réfèrent à cet univers urbain noir des films de l'époque, femme fatale, atmosphère mystérieuse et chapeau sur les yeux compris. Nous avons donc longuement discuté des différents visuels qui pouvaient recréer cette ambiance, sans craindre d'utiliser les incontournables clichés du genre. Lorsque tout le monde fut d'accord, j'ai d'abord réalisé quelques esquisses pour les arrière-plans, afin de situer les scènes. Ces graphiques préparatoires ont donné lieu à d'autres discussions puis, après une sélection, un certain nombre d'entre eux fut retenu, auxquels j'ai alors ajouté des personnages en 3D afin de figurer les poses et attitudes que j'avais imaginé pour le Kid et les Coconuts dans ces scènes. Il n'y avait alors "plus qu'à" réaliser le tout en vrai. Une séance-photos dans les règles, c'est à dire avec une armée d'habilleurs, coiffeurs, maquilleurs mais surtout un photographe talentueux fut organisée à Londres, durant laquelle le groupe, ensemble ou séparément selon les scènes, en s'aidant de mes croquis, a posé devant... rien ! J'ai ensuite incorporé le Kid et les filles aux scènes préalablement créées, de la même manière que les acteurs jouent devant un fond bleu dans certaines scènes ou même des films entiers, comme l'excellent Sky Captain and the World of Tomorrow, par exemple, film emblématique du courant Dieselpunk. Et voilà... comme on dit même aux États-Unis ! Le groupe, occupé actuellement à la préparation du "I Wake Up Screaming Tour" n'a pas encore réalisé réalisé de vrai vidéo-clip à partir de l'album, si ce n'est ce making-offde la séance-photos en question, où l'on voit ces images préparatoires avec leurs silhouettes en 3D sur les murs, sur lesquels le photographe gribouille sans vergogne !
Je ne dirai jamais assez quel plaisir ce fut de collaborer à ce projet. Le Kid, qui avait des idées assez précises au sujet de ce qu'il voulait, est néanmoins resté extrêmement ouvert à toutes mes idées et suggestions et certaines images qui n'étaient pas prévues initialement ont été ajoutées à l'album parce que je les avais soumises au Kid et qu'il les aimait.
Est-ce que tu connaissait déjà Kid Creole and the Coconuts avant qu’il ne te contacte ?
Je connaissais - et adorais - le groupe et sa musique depuis ses débuts dans les années 70, lorsqu'il s'appelait encore Doctor Buzzard and the Original Savannah Bandet remplissait les dance-floors avec des tubes tels que Cherchez la Femmeou The Gigolo and I. J'en connaissais les paroles par cœur et les zoot-suitsdu Kid m'émerveillaient, alors ! Je l'ai vu plus tard sur scène lorsque le groupe, devenu Kid Creole and the Coconuts, occupait les premières places des charts avec Stool Pigeon ou Annie, I'm not your Daddy, mais je n'avais jamais eu l'occasion de leur dire que je suis un fan. C'est à présent chose faite et ce fut un vrai bonheur, en même temps qu'un grand privilège. Le Kid est vraiment a great guy, comme disent les anglo-saxons et les filles, non contentes d'être aussi jolies et sexy, sont adorables. Eva Tudor Jones, lead-singeret compagne du Kid à la ville - elle donne son nom à l'une des ballades du nouvel album - est vraiment devenue une amie depuis que j'ai réalisé tout exprès pour elle un poster à son image, avec le Kid en ombre chinoise en arrière-plan, façon film noir encore et toujours, et qui sera, une fois tiré en grand format et encadré, le cadeau de Noël du Kid. Pas un mot, bien sûr !
Tu prépares la sortie d'un livre illustré Diesel City, est ce que tu peux nous en dire quelques mots?
Le livre est intitulé Diesel City, la fiction révèle les vérités que la réalité dissimule. Il s'agira d'un livre d'illustrations, les miennes, liées par de courts textes mais aussi des documents d'époque, toujours la même, celle des années 30 ou 40, le tout constituant une plongée hypnotique dans cet univers noir et oppressant, peut-être pas aussi alternatif ou imaginaire qu'il y parait au premier abord, qu'est Diesel City. A travers des thèmes tels que les machines, la guerre, les véhicules, les héros & bad boys, le cinéma... le lecteur - le spectateur, puisqu'il s'agit surtout d'images - découvre un monde sombre, parfois inquiétant, où rien n'est vraiment ce qu'il semble être et où il faut souvent s'interroger sur "les choses derrière les choses". Ce monde est-il réel ou seulement une illusion ? Est-ce un film, un rêve, un cauchemar... pire ? Peut-être la fin du livre le dit-elle. Peut-être. Édité en deux versions, une française et une autre américaine, bien sûr, Diesel City réunit pour la première fois des illustrations couvrant plusieurs années de travail. La maquette est très belle, très élaborée et, si tout va bien, le livre verra le jour à la fin de l'année. Il contiendra aussi des tirés-à-part à encadrer, pour ceux qui ont des murs avec rien dessus ! Le projet réunit, là aussi, des gens talentueux et inspirés, à commencer par un éditeur audacieux et inventif, qui m'a laissé une totale liberté de création tout en me déchargeant des contraintes matérielles. Un autre de ses aspects qui me tient à cœur est que le livre donnera au public français quelques clés pour se familiariser avec le Dieselpunk.
dernière minute : le livre est publié et présenté ici
Parlons maintenant de ce qui intéresse en premier les banquiers et le fisc : est-ce que tes créations te rapportent quelques pécules à inscrire sur ta déclaration ou est-ce que cela reste principalement une passion ?
Il faudrait alors que tu poses la question à mon banquier ou à mon percepteur ! Plus sérieusement, le graphisme constituerait sans doute pour moi une activité lucrative si j'acceptais toutes les propositions d'illustrations pour des nouvelles, de couvertures de livres et autres flyers que je reçois, ce qui n'est pas le cas. Une certaine... désinvolture naturelle - j'ai entendu quelqu'un prononcer le mot paresse ? - me porte à m'intéresser plutôt aux projets qui me séduisent qu'à ceux qui sont lucratifs. Ce peut être tout simplement parce que ce sont les miens propres, comme Diesel City : lorsque tu as la chance qu'un projet auquel tu penses et travailles depuis plusieurs années, trouve son accomplissement sous la forme d'un beau livre, tu t'y impliques sans nécessairement te demander combien d'exemplaires tu vas en vendre. Mais ce peut être pour de toutes autres raisons, comme la campagne de prévention du Sida pour laquelle j'ai eu le privilège d'être choisi, il y a quelques années. Deux courtes bandes dessinées et des tonnes de cartes postales avaient alors été éditées, pour lesquelles j'avais créé un personnage, Latexman, pastiche de super-héros à la musculature saillante sous son collant, qui vole et qui est coiffé... d'un préservatif. Ce fut à la fois drôle, intéressant et, peut-être, utile. D'accord, je refuse quelquefois des projets pour m'intéresser plutôt à... rien du tout. Mais je m'améliore : jusqu'à l'an dernier, je n'acceptais jamais rien durant les quatre mois de la saison d'été, ce qui ne fut pas le cas cette année, pour cause de voyage à Diesel City !
Pour finir quelle est la question que tu aurais aimé que je te pose et à laquelle je n'ai pas pensé?
Il y a, en effet, un sujet qui vaut sans doute la peine d'être évoqué. Il s'agit cependant d'une question assez sérieuse, pesante même, dont j'ignore si elle a sa place ici, mais puisque tu me fais l'amabilité de me laisser le champ libre... Depuis quelques temps, et ce de manière croissante, je découvre que mes images sont récupérées par des sites néo-nazis ou, en tout cas, véhiculant un message, une idéologie autoritaire, pour dire le moins. Certes, nombre de mes illustrations font appel à une imagerie nostalgique de l'immédiat avant-guerre, lorsque la montée du nazisme et du fascisme laissait présager le conflit imminent. Certes, le symbole du pitbull, omniprésent au fronton des édifices et sur les drapeaux à Diesel City est utilisé comme substitut de la swatiska tout au long du livre, pourquoi le nier ? Certes, la démesure et l'aspect spectaculaire de l'architecture et de l'art totalitaire sont souvent l'inspiration des environnements dans mes univers. Il ne s'agit à travers tout cela que de générer, en un procédé narratif, un climat de tension extrême et d'anxiété destiné à servir la mise en scène de certains visuels, le déroulement de certains scénarii. Cela n'implique en rien que j'adhère en quelque manière à l'idéologie que cet esthétisme véhicule, encore moins que je prône le retour de ces régimes aujourd'hui obsolètes à peu près partout, au moins sous nos latitudes.
Mais, au-delà d'une justification de mon propos esthétique, je souhaite simplement dire que cela me rend triste et inquiet de constater que le nombre de ces sites, très souvent curieusement originaires des pays de l'Europe de l'Est mais pas uniquement, presque toujours gérés par des gens jeunes et dangereusement motivés, est en constante augmentation, utilisant pour cela le fait que l'Internet, majoritairement américain, abrite à peu près tout et n'importe quoi sous l'aile protectrice du free speech, jusques et y compris en des endroits où les lois américaines ne s'appliquent pas. Je suis certain, cependant, que le plus grand nombre de ceux qui me font le privilège de s'intéresser à ce que je fais savent que le mot Dieselpunk n'est pasun synonyme pour néo-nazi, ni pour néo-fasciste, qu'ils savent que la politique et encore moins l'idéologie n'ont rien à voir avec tout çà et, de cela, je leur suis infiniment reconnaissant.
Ce problème à tout à fait sa place ici et je l'avais d'ailleurs évoqué, dans mon article sur les bienveillantes, tu fais donc bien d'apporter ces précisions.
Merci infiniment, Stefan, de t'être prêté au jeuet pour ceux qui veulent en voir plus il y à ron espace sur deviant-art